Parmi les rochers dominant sur la rive droite de l’Ain l’usine hydro-électrique de Cize-Bolozon, une vingtaine d’hommes forment l’embryon du futur Camp de Cize. La prise de commandement se fait du reste dans de curieuses conditions. Un bel après-midi d’été, Montréal et Gaby décident de prendre contact avec ce groupe de réfractaires dont la présence a été remarquée.
Partis de Granges, ils traversent le barrage et à Chaloure frappent à la porte de Mme Bletel.
Leur arrivée a été épiée. Quels sont ces deux étrangers? Les réponses sont si glaciales que l’entretien est écourté. Des renseignements? Cette dame ne peut en fournir: jamais elle n’a vu de réfractaires dans la région. C’est alors qu’une cloche se met à sonner tout à côté: M. Gauthier, le fermier, donne par signal convenu l’alarme à ses protégés. C’est un échec, mais sur lequel il sera possible de revenir. Ne valait-il pas mieux qu’il en soit ainsi ? Que ces braves personnes gardent leur secret?
Montréal apprit depuis que la réserve dont on avait usé à son égard était due à la réputation de collaborateur, voire de milicien, dont on le gratifiait dans le pays depuis qu’on l’y voyait si souvent circuler. Ainsi il arrivait que les jeux fussent bien cachés.
Huit jours plus tard, il entrait en relation avec Charles et Loulou. Après échange de vue, Charles et sa famille donnent leur confiance à ce nouvel ami. Les deux frères, enragés de leur inactivité se proposent de grand cœur à l’aider et Montréal fait connaissance avec Chaloure. Le nouveau camp de Cize passe à son tour sous l’autorité du chef départemental.
Charles s’occupera du ravitaillement et avec sa famille tâchera de subvenir au bien-être de ses camarades. Quant à Loulou il assurera les liaisons en attendant la rentrée du Lycée. Abel et Marcel venus de Chougeat prennent la direction du groupe. Abel, homme calme et énergique, est le chef; Marcel est son adjoint dont la figure balafrée garde la cicatrice d’une blessure reçue dans les rangs des Républicains au cours de la guerre d’Espagne.
Le camp s’organise sur la falaise de Corveissiat, dans le site merveilleux des gorges de l’Ain.
Des baraquements et des équipements, fruit d’un coup de main sur un détachement des Chantiers de la Jeunesse stationné à deux kilomètres de là, améliorent confortablement les conditions matérielles.
Dès l’installation terminée, l’instruction commence activement. Du samedi au lundi les membres des G.F. de l’A.S. d’Oyonnax suivent des cours sur le montage, le maniement et le tir des mitraillettes, ces petites armes quasi ignorées en France. Comme à Chougeat arrivent par fournées les G.F. de l’A.S. de Lyon sous le commandement de Bajac.
Attendus par des guides dans les gares de Cize et de Nurieux, ils ont le loisir, loin des grandes agglomérations et de la police, de s’entraîner au tir, de se familiariser avec les explosifs et les méthodes modernes de sabotage.
Le Camp de Cize avait rapidement pris de l’ ampleur grâce aux apports du Centre et aux éléments arrivés de Bresse avec le camp de Catane, tels que Adrien dont la longue barbe complétait la silhouette typique des habitués de la Péniche de l’Armée du Salut ou André Marbeaud, inculpé de sabotage et en rupture de ban 1 ; grâce aussi à son splendide animateur : Officier d ’aviation, homme trapu mais solide dont les yeux très noirs et riants exprimaient une vitalité et une intrépidité intenses, le lieutenant Brun commandait le secteur de Cize et partageait son temps entre l’unité et le poste de commandement.
C’est au début du mois de septembre 43 que fut endeuillé pour la première fois le camp de Cize. Un après-midi, Brun, Abel et Marcel rentraient en voiture. Une patrouille fouillant la contrée ne reconnut pas l’auto, lui intima l’ordre de stopper, puis ouvrit le feu. Abel fut tué sur le coup et Brun manqué de peu. La mort d’Abel avait été une perte terrible pour les hommes et pour Marcel qu’ abandonnait son compagnon de vieille date. Après les obsèques émouvantes faites avec tous les rites militaires dans le cadre lugubre de la forêt boueuse, Brun prit le commandement effectif
de l’unité, lui insufflant toute sa fougue et tout son dynamisme. Avait-il pressenti qu’il devait encore se dépenser activement pendant les derniers jours que le destin lui avait accordés ?