Vidéo: les Allemands sont passés...à Matafelon
Lundi, 25 Juillet, 1994
L'Humanité
Georges avait onze ans et Doudou quatorze. Le premier était encore avec son père peu de temps avant que celui-ci soit arrêté par les Allemands et abattu d'une balle derrière l'oreille, comme «terroriste». La seconde a cru sa dernière minute arrivée lorsqu'un soldat de la Wehrmacht la mit en joue, avant de la pousser dans une cour rejoindre d'autres prisonniers.
La mort de mon père.
« Depuis le 9 juillet 1944, les Allemands attaquaient dans le Jura, où le maquis s'opposait énergiquement à leur avancée.
La population du village de Matafelon se réfugia dans la montagne de Chougeat, près du camp de base des FTP. Le 15 juillet, vers 16 heures, les sentinelles du groupe aperçoivent dans le sentier, à travers les feuillages, des cavaliers allemands; les sabots des chevaux étaient enveloppés pour atténuer le bruit.Nous avons su qu'ils étaient au nombre de 25.
Ce fut un sauve-qui-peut général, malgré les consignes passées, de se replier dans l'ordre et le calme.
Mon père, Emile Allombert, ma sœur de cinq ans dans les bras, le chien qui nous accompagnait et moi-même âgé alors de onze ans, nous enfouissons dans les taillis. A la vue des chevaux, le chien aboie. Je me mets à crier: « Papa, sauvons-nous! », persuadé que mon père tenant ma sœur me suivait. Conscient du danger, je m'enfonce dans un buisson d'épineux et, terrorisé, attends très tard le soir pour en émerger. En me dissimulant, je reviens au campement, ne retrouve ni n'entends personne. Que s'est-il passé?
Je m'enfonce alors dans la forêt que je connais parfaitement pour gagner la source car j'ai soif. Un homme surgit, qui se cache aussi, un chauffeur des tramways de l'Ain. Alors que nous arrivons tous deux, à découvert, à la source, nous voyons, sortant du bois, à l'opposé, quelques-uns des cavaliers allemands. En rampant dans les grandes herbes, nous réussissons à nous dissimuler et regagnons la forêt où nous passons la nuit ensemble. (...)
J'erre jusqu'au soir dans la montagne, tenaillé par le désir de retrouver les miens, la faim, je tente de m'approcher de ce qui reste du village de Chougeat, brûlé en avril 1944, et dont toute la population jeune a été déportée. J'entends des appels, j'ai peur, puis je reconnais les voix, ma mère, mes tantes... Je demande: «Mon père, ma sœur? »
On me cache la vérité: « Il a été emmené. Ta sœur a été remise à la seule femme qui restait au village, épargnée peut-être parce qu'enceinte...
....Puis j'ai su. Mon père descendant ce sentier, entre les cavaliers, la petite dans les bras, les brodequins délacés, les armes sur la nuque. L'enfant déposée, on le conduit dans une vieille grange qui existe encore. Un temps. Un coup de feu. Les derniers instants, il n'y a que quelques années qu'un homme du pays, dissimulé dans un réduit avoisinant ce jour-là, a osé me les dire. André Rougemont a entendu, a vu: « Il y a eu conciliabule, hésitation, puis décision.»
Mon père a compris.
Ses dernières paroles ont été pour nous: « Mes enfants, que vont devenir mes enfants? ».
...Ma grand-mère venait de perdre son troisième fils, deux oncles de vingt et vingt-deux ans étaient morts en 1914-1918, mon père ce jour-là... A quatorze ans, je participe aux réunions de la cellule communiste du village: une fenêtre ouverte sur un monde de justice et de paix. (...) »