Le 11 juillet 1944, plus d'un demi-siècle déjà, à Orgelet les troupes allemandes de répression, conduites par des miliciens de la région semèrent la terreur dans la ville et commirent les pires exactions : crimes, incendies, déportations. Pour retracer l'atmosphère de cette journée, que les jeunes d'aujourd'hui qui ont le même âge que la jeunesse qui a subi l'épreuve du 11 juillet 1944 oublient trop facilement, il faut évoquer l'odyssée de trois orgeletains au cours de cette journée.

7 heures : rue de la Glacière et de l'Ancien collège, ces trois orgeletains âgés de trente, vingt et dix-huit ans sont brutalement tirés du sommeil par des claquements de fusil et des cris «les Allemands»...

Vite le temps de passer quelques habits et les voilà dehors mêlés au groupe de fuyards qui s'élancent dans le petit chemin qui grimpe au Mont Orgier entre les jardins, ce chemin par lequel en 1674, par la porte de la Combe, les Français avaient pu pénétrer à Orgelet.
Rompus aux sports et aux exercices physiques, apeurés mais déterminés, les trois jeunes sont vite en tête du groupe et progressent en zigzaguant car les balles bourdonnent à leurs oreilles.
Tout le monde suit... pas pour longtemps, la panique ou la certitude que les soldats ne sont pas des sauvages font s'arrêter et se réfugier certains dans la propriété de Mme Terrasse où ils se feront cueillir par les hommes «verts».
Pendant ce temps, les trois «courageux» atteindront la plate-forme près de la Côte à Robert, juste pour se cacher derrière des buissons car surgissent, venus de la Place au Vin, quelques cavaliers qui n'osant pas trop s'aventurer en forêt ne s'attardent pas. Il tombe une petite pluie fine, froide, une espèce de crachin et l'un des trois torse et pieds nus est frigorifié si bien qu'en longeant l'arête de la Côte de l'Euthe côté Plaisia, car celle de la Route de Lons est mitraillée, ils arrivent au hameau de Vampornay délaissé pour le moment par les militaires.
Une famille de cultivateurs leur fournira habits et bol de café. Ils repartiront très rapidement et par le Pont de Bois pénétreront pré­cautionneusement à Dompierre car les fumées qui s'élèvent au dessus du village les inquiètent...
Ils arrivent devant une ferme embrasée... et c'est alors que surgit devant eux une fillette - qu'ils tenteront en vain de retrouver plus tard - qui, affolée, leur annonce que les Allemands, dont certains patrouillent encore dans le village, ont massacré les hommes.

Et c'est la retraite par les champs, avec un arrêt derrière un bosquet touffu pour décider du lieu de repli et interroger les fumées qui obscurcissent Orgelet. Elles ne renseignent guère sur les maisons incendiées...
L'inquiétude les étreint, car sachant ce qui s'est passé à Dompierre, ils se demandent ce que subissent les habitants du chef-lieu.
Le plus urgent est de trouver un refuge sûr. Il est décidé de traverser la Plaine du Vernois en profitant de l'écran des bouleaux pour atteindre la Forêt du Mont où doivent sûrement se cacher les jeunes du Faubourg qui ont réussi à quitter la ville.
Pour cela il faut franchir la route de Lons et ils s'apprêtent à le faire au niveau de la Baraque du Tir où autrefois avaient lieu des concours organisés par l'association sportive, quand un dernier coup d'oeil à la route à la sortie d'Orgelet leur fait découvrir un convoi militaire - automitrailleuse, camions, motos qui se dirigent vers eux.
Sans un mot, ils se perdent au milieu du champ de blé providentiel. Immobiles, le coeur battant la chamade, ils attendent... et les soldats s'arrêtent devant la baraque. Dans le champ à quelques vingt mètres l'épouvantable peur qui n'est pas encore devenue panique a momifié les trois fugitifs qui entendent distinctement les sons gutturaux des voix allemandes.
L'arrêt se prolonge... les minutes s'égrè­nent lentement... enfin un coup de sifflet strident décide du départ de la colonne.

Ces Allemands qui s'étaient fait attaquer en montant Malapierre descendaient leurs blessés à l'hôpital militaire de Lons qui occupait le Lycée Rouget-de-Lisle et ils avaient fait halte pour satisfaire un besoin naturel.
Ouf ! Quelle décharge affective pour les trois «miraculés» qui retrouvèrent des camarades dans les bois de Chavéria et ne rejoignirent Orgelet que le soir pour apprendre toutes les exactions commises et le rapt des jeunes - leurs copains - dont la plupart ne reviendront pas.

André Jeannin
Article paru dans "Le progrès" le 12/4/1998

 
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