Donc à l’aube du 5 février en même temps que les troupes encerclent la région, une colonne d’assaut se dirige par Brénod à l’ attaque du camp Michel (camp de Granges) dont elle a une exacte connaissance de l’emplacement.
Michel rentre du P.C. (établi à la ferme du Molard) où, la veille, il a conduit un agent de liaison de l’État-Major Régional, Marc, le fils de Belleroche.
Il est 5 heures du matin. La section Robert part en patrouille sur la route des Neyrolles et Ludovic vers le Monthoux. Michel n’a pas le temps de dé lacer ses chaussures que les premières rafales claquent dans le petit matin. Au même instant le fermier de La Gouille apparaît et donne l’alerte: les Allemands arrivent de Brénod en camions. Branle-bas de combat.
Ludovic est déjà engagé. C’est à l’instant où il sortait de chez Pongin que le groupe Roger a été mis en éveil par le bruit des moteurs. Les boches sautent à terre, aperçoivent les maquisards, ouvrent le feu. La riposte est immédiate. Les mitraillettes crachent. Le Suisse vide tous ses chargeurs.
Debout il lance ses grenades d’un bras puissant. Le feu est général, les balles sifflent, s’enfoncent dans la neige ou ricochent, hachent les branches. Les Allemands tombent, deux sont tués sur le coup. Voyant la poignée de Français qui leur tient tête ils avancent, mettant à profit leur supériorité. La patrouille est légère: pas de fusil-mitrailleur; les gars sont forcés de se replier car les munitions s’épuisent. Premier bond en arrière. Mais Roger reste affalé sur la neige: une rafale l’a tué. Ses camarades sautent. Desmares est abattu: une grêle de balles lui transperce la poitrine. Le Suisse tombe à son tour: un chapelet de balles explosives lui a arraché la cuisse et ouvert le ventre. Claudius est le seul rescapé du groupe. Il juge que l’alerte est donnée, alors il se retire en rampant et tire, tire sans arrêt au mousqueton. Au moment où il franchit une murette une balle explosive reçue en pleine cuisse le précipite de l’autre côté...
Le dispositif général de combat est pris. La section Goyo s’est établie dans la forêt, en arrière du Monthoux. Prosper s’est porté dans les bois de Chevillard et se rabat sur la route de Brénod. Les Russes de Nicolas ont franchi La Combe-de-Leschaud et battent la forêt des Moussières.
D’instant en instant la bataille s’aggrave. Tout le long de la route nationale le contact est pris. Les Allemands ont l’avantage du nombre et de l’armement, les Français ne comptent que sur leur courage. Ils doivent gagner du temps, tenir le plus possible. Dans cette mêlée obscure chacun rivalise de prouesses. Prosper fait des cartons avec son mousqueton et abat un premier boche.
Au-dessus de la vallée de Sylans le calme est absolu. Robert rentre. Le camp est désert, il se porte au sud. Au poste de garde il rencontre la section Ludovic qui se replie, son chef a disparu. Il entraîne ses hommes à l’ouest et, s’établissant en position vers le transformateur, attaque avec force. Surpris, les Allemands esquissent un mouvement de recul; touché d’une balle, l’un d’eux saute comme un pantin...
Le temps est bas. La tempête de neige déferle sur la montagne, se mêle au vacarme du combat. Les grenades, les armes automatiques crépitent sans discontinuer. Les fusils-mitrailleurs Brenn, à part quelques enrayages dus au froid, fonctionnent à merveille. Le mousqueton de Robert touche juste.
Le vent apporte les derniers échos de lointaines explosions étouffées par la neige. Dans le ciel des avions rôdent. Le canon tonne. Le plateau n’est plus qu’un vaste champ de bataille. Le Maquis aura du mal à sortir de cette passe. Les Allemands forcent, ils ont pour consigne d’avancer à tout prix. Michel et Ritoux qui est atteint d’une grave bronchite font le tour des positions. Ils poussent une pointe jusqu’à Macconod. Le train-auto y est bloqué et ne pourra plus s’échapper.
Avec vigueur les boches relancent l’offensive. Les mortiers entrent en action et pendant une heure le tir ne ralentira pas. Le débordement commence. Les éclaireurs-skieurs confondus avec la nature blanche se glissent dans les bois, s’infiltrent.
Le Maquis doit éviter l’encerclement et rétrécir son front pour plus de sécurité. Sans cesser le feu les groupes reculent insensiblement. La bataille diminue d’intensité. L’ennemi perdra-t-il le bénéfice de sa supériorité et abandonnera-t-il la progression qu’il a sévèrement payée ? Le contact est rompu.Va-t- il utiliser la surprise ou, décontenancé par la résistance imprévue, hésitera-t-il à s’aventurer plus avant ?
Robert se replie sur Pré-de-Joux. Resté le dernier aux prises avec l’assaillant, Prosper cède le terrain pour mettre à profit la lisière Est de la forêt de Chevillard. De là il contrôle la route des Neyrolles d’où un assaut de diversion peut être encore donné. Une marche d’approche lente amène les groupes près du cantonnement où Guste et Marcoux se portent en éclaireurs. Aussitôt la défense rapprochée du camp est ordonnée.
Une patrouille sonde le dispositif ennemi. Celui-ci semble hésitant. Son succès initial lui a valu de graves pertes. Il s’est trouvé face à face avec une force insoupçonnée qui man œuvre de façon coordonnée. La nature elle-même lui est hostile. La tempête siffle lugubrement. Les combes et les bois, paysages dantesques, cachent des embuscades. La nuit tombe rapidement. Dans cette immensité déserte et glacée la belle ardeur du matin est tombée. Les éléments avancés stoppent leur progression...Il est tard.
Le sud est bloqué, l’est très probablement, mais la première mission est exécutée. Le camp se regroupe. Le point est fait: huit camarades manquent. Jusqu’ à maintenant l’attaque n’a pas été trop cruelle en regard de sa violence.
À 22 heures Michel donne l’ordre de repli.