Sièges: la version Beaudet (d’après le récit de Léonie Pan)
Le 10 avril 1944, les Allemands, des nazis, montent à Sièges à la recherche de maquisards. Ne trouvant rien qui puisse les intéresser, ils redescendent vers Arbent. Or, le maire de Sièges, un certain monsieur J. (originaire d’Arbent) qui terrorisait et menaçait tout le village, s’est caché en haut du bief qui longe le route et depuis son poste tire sur eux.
La réplique sera rapide et terrible. Le lendemain les nazis reviennent. Ils traînent avec eux cinq prisonniers, cinq maquisards, les font descendre des camions, les entraînent derrière la maison Chaveyriat (ou personne n’habite en dehors des vacances, les Chaveyriat ayant émigré à Paris) située du coté sud de l’église. Les moteurs des camions ronflent à plein régime.
Pendant ce temps, les habitants de Sièges sont rassemblés dans la cuisine de la maison Beaudet en face de l’église (la maison de Alfred Beaudet ou logeait Léonie) puis on fait monter tous les hommes dans un camion dont le fils de Mr J. alors agé de 14 ans (Il était très doué pour le jeu d’échecs). Seuls monsieur Odobel qui est handicapé d’un pied sera battu et souffrira de plusieurs cotés cassées et Mr Boittet un vieillard de 84 ans resteront. Trois femmes sont également embarquées parmi elles, l’épouse de Mr J. qui reste introuvable.
Les allemands annoncent qu’ils vont brûler le village, que les habitants sauvent ce qu’ils peuvent, ils n’ont que quelques minutes. Léonie Pan, gouvernante de Alfred Beaudet, (dans la famille, on l’appelle encore “Oncle Alfred”, avait été économe au lycée Lalande de Nantua ( ? ndlr), il était déjà décédé au moment du drame et, sans enfants, avait laissé l’usufruit de sa maison à sa gouvernante) jette son matelas par la fenêtre et sort en toute hâte quelques chaises. Alfred Beaudet (et oui, encore un, mais là c’est le neveu) était administrateur colonial en Afrique (dans la famille, on l’appelle encore “Cousin Alfred”) et était revenu pour ses vacances dans sa maison familiale situé en haut de la vie Gadet. A cause de la guerre, il n’avait pas pu repartir.
Lorsque les Allemands entrent à Sièges, il est à Marchon dans une maison qu’il y a acheté. Sa compagne elle, est remontée à Sièges. Il décide de rentrer au village car il est inquiet, on lui a dit que les Allemands étaient remontés. En chemin il rencontre le “Tantou” d ‘Arbent qui lui déconseille de poursuivre son chemin “ça barde la-haut…” mais il décide de poursuivre sa route, ce choix lui coûtera la vie. Arrivé au village, comme Il parle couramment l’allemand, il tente de parlementer comme il le peut pour essayer de sauver quelque chose du village, c’est ainsi que les allemands ne brûleront que les maisons de la rue principale en épargnant l’église et les maisons situées dans les rues secondaires.
Les nazis jettent des grenades au phosphore par les fenêtres, en quelques minutes, le village est en flamme.
Un vieillard de 84 ans, se précipite comme il le peut, dans sa maison, c’est le grand-père Boittet qui veut sauver sa boite à outils. Il n’en ressortira jamais . Les vaches des familles Morand, Odobel, Reuille sont brûlées vives dans leurs écuries, personne n’a eut le temps de les détacher. Une épaisse fumée visible à plusieurs kilomètres s’élève dans le ciel . A la ferme des Mercières dans la côte de Dortan à Oyonnax, on a compris: “Sièges brûle”. La nuit tombe, Léonie s’installe dans l’ancien rucher derrière la maison en flamme. Terrible nuit sans sommeil, couchée par terre sur son matelas, elle regarde impuissante, sa maison qui brûle. Les sans-abris trouvent refuge chez ceux qui ont encore un toit. L’incendie va durer plusieurs jours.
Lorsque l’on peut enfin approcher des ruines, une triste nouvelle parcourt les rues, on a retrouvé le père Boittet qui avait disparu on ne savait où. “on enterre le père Boittet, venez, venez”. Les ossements calcinés du grand-père sont placés dans sa boite à outils et enterrés au cimetière.
Aucun des hommes ne reviendront des camps de concentration où ils seront envoyés.
Des 3 femmes emmenées, l’une d’entre-elles, madame Reuille reviendra le lendemain, rouée de coups. Elle se retrouve seule avec trois enfants en bas age. Les deux autres femmes, envoyées en camp de concentration ne reviendront qu’à la libération.
Quelques jours plus tard, intrigués par l’odeur nauséabonde qui règne près des ruines fumantes de la maison Chaveyriat, les quelques rescapés découvrent avec horreur les corps des cinq maquisards atrocement mutilés. voila donc la raison pour laquelle les moteurs des camions ronflaient si fort, personne ne devait entendre les cris des suppliciés. L’un d’eux, un inconnu est enterré au monument au mort du Parc René Nicod d’Oyonnax.
Dans les jours qui suivent, mr J. revenu sur place reprend la situation en main et pour loger les sans-abris, ouvre de force les maisons des familles expatriées qui ne viennent que pour les vacances. Sa maison située dans la rue principale ayant brûlé, il s’installe chez “cousin Alfred” qui a été emmené. il s’habille avec ses vêtements et comme il est grand comme notre cousin, quelques personnes d’Oyonnax croient le reconnaître et s’étonnent ” Ah mais le “grand Beaudet”, il a pas été emmené!” Entre autre, Il loge les M. chez les R. au 1 rue des Echallys (ils ne sont pas résidents permanents au village et ne viennent que pour les vacances).
A la Pomeraie entre Sièges et Viry, le père de la famille est aussi emmené. Sa femme est enceinte. Lorsqu’elle sait que le bébé va venir, elle s’en va à pied jusqu’à Viry. La, c’est un médecin Allemand qui l’aidera à mettre son bébé au monde.
A la suite de ce drame, Sièges est anéanti, la mairie école a disparu, presque tout est à reconstruire. Il ne reste que 15 habitants, plus rien ne sera jamais comme avant.
En 1946, l’ancienne commune de Sièges est rattachée à celle de Viry sous le statut de “section de commune”. Le village va “vivoter” pendant une cinquantaine d’années.
Lorsque ma maman Françoise (elle avait 22ans) est revenue au village, quelques mois après le drame, la première scène qui l’a vraiment marquée a été de voir la lune à l’intérieur de la maison familliale par la fenêtre béante. “C’était une vision lugubre que l’on oublie pas.”
Les pierres des maisons rendues inutilisables par la forte chaleur qu’elles avaient subie, seront enlevées et les menus restes éparpillés dans le chemin de Dortan. On y trouve encore beaucoup de débris divers (morceaux d’assiettes et de poêles en fonte, de ferrures, des clous etc…)
Tout de suite après la guerre, l’Etat fit construire à Sièges, plusieurs chalets “provisoires” pour loger les habitants sans toits. L’un d’eux est encore debout c’est celui de ma tante. Il servi de mairie-école en attendant la reconstruction de l’ancienne, celle que vous voyez sur la photo devant la fontaine et qui avait été brulée. Ma tante a ensuite acheté ce chalet et y vit depuis près de 60 ans.
Ma chère Tatie est décédée le 12 mai 2010. Son terrain a été vendu. Son jardin, ses fleurs, ses arbres ont été détruits. Son chalet a été brûlé le 14 janvier 2014. Certes, il n’était pas beau vu de l’extérieur mais qu’est ce qu’on y était bien et que de merveilleux souvenirs j’en garde.