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La B.B.C.

Les Français parlent aux Français. Par Sophie Tanguy

Depuis juin 1940, les Français ont pris l’habitude d’écouter les émissions françaises de la BBC, dont la qualité des informations est réputée. Au lendemain de la défaite et de l’Appel du Général de Gaulle, le fil ténu qui reliera la France à ses Alliés ira s’intensifiant sur les ondes.

Dès le lendemain 19 juin 40, la section française de la station diffuse chaque jour 2 programmes : celui de la France Libre du Général de Gaulle intitulé “Honneur et Patrie” et placé sous la direction de Maurice Schumann où s’expriment les combattants qui ont rallié les FFL, suivi du célèbre “Ici la France”, rebaptisé en septembre 40 “Les Français parlent aux Français”, réalisé par la section française de la BBC où se succèderont, sous l’égide de Jacques Duchesne, Jean Oberlé, Pierre Bourdan (de son vrai nom Pierre Maillaud), Yves Morvan dit Jean Marin, Maurice Van Moppès, Jacques Borel, Pierre Dac… Cette dernière émission commence toujours par la même phrase : “veuillez écouter tout d’abord quelques messages personnels”. Les auditeurs entendent alors une série de petites phrases sibyllines et parfois cocasses qui sont en réalité des messages codés à destination des réseaux de résistance qui s’organisent sur le territoire national annonçant des parachutages d’armes ou d’agents, des consignes à exécuter.

Le générique de ces émissions est sans doute resté le plus célèbre dans la mémoire collective française : ce sont les premières notes stylisées de la V° Symphonie de Beethoven qui correspondent en morse – trois brèves une longue – à la lettre V comme Victoire.

Au fil des années, Radio Londres entretient le moral des Français qui résistent, activement ou passivement. A partir de la fin 1942, la radio anglaise annonce la libération de la France et, ayant compris que cette libération sera d’autant plus efficace qu’elle sera soutenue de l’intérieur par différentes actions, encourage les Français à ralentir la machine de guerre allemande. Timidement commencée par quelques mots d’ordre invitant la population à manifester silencieusement lors de journées symboliques comme le 14 juillet, la relation établie entre l’Angleterre et les Français ira s’intensifiant et c’est d’une façon presque naturelle que la population attendra les ordres du Commandement Allié. Mais s’ils sont prêts à obéir au Général de Gaulle et à Londres, les Français s’impatientent : quand donc aura lieu l’invasion libératrice promise ?

Enfin, après quatre années d’attente, au début de l’année 44, le Political Welfare Executive britannique commence à diffuser des messages faisant référence à la grande offensive. La mobilisation silencieuse commence. Sur des tracts lancés par la Royal Air Force on peut lire des recommandations très claires à destination des réseaux de résistance : “Ne devancez pas les indications ultérieures qui vous seront données par la radio de Londres ou par la radio Américaine. Restez à l’écart de toutes les opérations préliminaires. Le jour où les armées de la libération auront besoin de votre concours actif, vous en serez prévenus !”

Le 3 janvier 44, le programme “Les Français parlent aux Français” s’adresse aussi aux fonctionnaires des forces de maintien de l’ordre, policiers, gendarmes, gardes mobiles républicains, les enjoignant de se désolidariser des “ennemis du peuple” et prévient que “l’heure n’est pas éloignée en effet où les collaborateurs auront à rendre des comptes, à restituer les bénéfices tirés de leur trafic, à payer le prix de leur trahison”. Aux civils, des consignes sont données pour évacuer des villes les femmes, les enfants et les “inutiles”. On demande aux paysans de les accueillir et de pourvoir à leur ravitaillement. La tension monte, l’heure n’est plus aux appels à la prudence que Radio Londres a distillés pendant quatre années. Regroupés autour des postes de TSF qui ont échappé aux saisies des autorités d’occupation, les Français sont désormais engagés dans la lutte active et n’attendent qu’un signe pour passer à l’offensive.

Le 1er mai 1944 va servir de répétition générale du Jour J. Mi-avril, “Honneur et Patrie” lance une campagne pour “un jour d’union et de combat”. Le 26, Maurice Schumann relaie le mot d’ordre du Conseil National de la Résistance qui incite les Français à la grève, à multiplier les sabotages, à former des milices patriotes et à préparer le succès du “soulèvement national”. Radio Londres reprend également les ordres donnés par les journaux clandestins comme “France d’abord”, “Libération” ou “La Vie Ouvrière”. De leur côté, le Parti Communiste, le Parti Socialiste, les comités d’action féminine du MLN, la CGT, les Mouvements Unis de Résistance encouragent les civils à faire de ce 1er mai une journée d’insurrection nationale. L’émission “Les Français parlent aux Français” appuie vigoureusement ces instructions à partir du 28 avril. Ayant rejoint Londres deux mois auparavant, Lucie Aubrac appelle à la mobilisation générale pour ce “dernier 1er mai célébré sous l’oppression nazie”. Il faut désormais se tenir prêt et l’imminence de la délivrance semble toute proche comme le laisse entendre André Gillois dans “Honneur et Patrie” : “l’heure de l’action décisive va sonner bientôt”.

D’ailleurs, l’augmentation des bombardements alliés laisse présager que le débarquement approche. Radio Londres multiplie les appels à la prudence, les autorités alliées craignant que des actions inconsidérées et prématurées n’entraînent des massacres de civils par l’occupant. Les messages personnels eux aussi se multiplient. Début mai 44, le programme “Les Français parlent aux Français” intègre l’émission “Honneur et Patrie” et c’est désormais la voix d’André Gillois qui donnera les consignes. Il commence à préparer ses auditeurs Français à une libération qui ne se déroulera pas en un éclair mais prendra plusieurs semaines.

Enfin, le 20 mai, la campagne officielle pour le débarquement est lancée sur les ondes. Le 1er juin, 161 messages d’alerte seront diffusés à destination des groupes de résistance. Parmi eux, un certain vers de Verlaine, qui annonce que le Jour J approche : “les sanglots longs des violons…”. Destiné au réseau Ventriloquist, il lance le sabotages des voies ferrées situées en arrière des côtes Normandes et Bretonnes. Les résistants savent que lorsqu’ils entendront la fin de ce vers “… bercent mon cœur d’une langueur monotone”, les troupes alliées débarqueront sur le sol Français.*

Le 5 juin à 21 h 15, ce sont plus de 200 messages qui, pendant plus de 16 minutes, sont adressés aux résistants : “Ouvrez l’œil et le bon” , “Tout le monde sur le pont”, “Messieurs, faites vos jeux”, “Le gendarme dort d’un œil”, “Les carottes sont cuites”, “Les dés sont sur le tapis” ou encore “les enfants s’ennuient le dimanche” sont autant de messages qui donnent aux Résistants le signal de passer à l’action. Ils doivent déclencher les plans Vert, Violet et Tortue, opérations de sabotages des communications qui devraient ralentir les mouvements des unités allemandes. L’opération Overlord est engagée.

Arrivé d’Alger le 3 juin dans la capitale britannique, le Général de Gaulle ne décolère pas. Il est littéralement mis devant le fait accompli de ce débarquement qui doit avoir lieu dans deux jours. Jusqu’à la dernière minute, il refuse d’enregistrer un message destiné aux Français. Mais personne ne peut concevoir que la voix de la France Libre ne s’exprime pas à la radio en cette journée décisive. Aussi des tractations fébriles se déroulent entre Churchill et de Gaulle. La météo s’en mêle et l’offensive, qui devait initialement se dérouler le 5 juin, est reportée de 24 heures. Enfin, dans la nuit du 5 au 6 juin 44, à 4 heures du matin alors que le débarquement est imminent, un accord est trouvé entre le premier ministre britannique et le général français. A 12 h 30, de Gaulle enregistre un message qui sera diffusé à 18 heures.

Ce mardi 6 juin 1944 à 9 h 30, les auditeurs Français entendent un premier communiqué allié, puis un message du général américain Eisenhower, suivi des traductions des messages des souverains alliés. A 17 h 30 enfin, la voix du Général de Gaulle retentit :

“La bataille suprême est engagée. Après tant de combats, de fureur, de douleurs voici venu le choc décisif, le choc tant espéré. Bien entendu, c’est la bataille de France et c’est la bataille de la France. D’immenses moyens d’attaque, c’est-à-dire pour nous de secours, ont commencé à déferler à partir des rivages de la vieille Angleterre. Devant ce dernier bastion de l’Europe à l’Ouest fut arrêtée naguère la marée de l’oppression allemande. Il est aujourd’hui la base de départ de l’offensive de la liberté. La France, submergée depuis quatre ans mais non point réduite ni vaincue, la France est debout pour y prendre part. Pour les fils de France, où qu’ils soient quels qu’ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre par tous les moyens dont ils disposent. Il s’agit de détruire l’ennemi, l’ennemi qui écrase et souille la Patrie, l’ennemi détesté, l’ennemi déshonoré. L’ennemi va tout faire pour échapper à son destin, il va s’acharner à tenir notre sol aussi longtemps que possible. Mais, il y a beau temps déjà qu’il n’est plus qu’un fauve qui recule, de Stalingrad à Tarnopol, des bords du Nil à Bizerte, de Tunis à Rome, il a pris maintenant l’habitude de la défaite”. Cette bataille, la France va la mener avec fureur. Elle va la mener en bon ordre. C’est ainsi que nous avons, depuis quinze cents ans, gagné chacune de nos victoire. C’est ainsi que nous gagnerons celle-là. En bon ordre! [… ] La bataille de France a commencé. Il n’y a plus dans la nation, dans l’Empire, dans les armées qu’une seule et même volonté, qu’une seule et même espérance. Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes voici que reparaît le soleil de notre grandeur.” * Il semble que le texte du message fasse référence à la chanson de Charles Trenet très inspirée du poème de Verlaine avec quelques différences. En effet, les sanglots longs de Verlaine “Blessent mon cœur d’une langueur monotone” tandis que ceux de Trenet “Bercent mon cœur d’une langueur monotone”.