Les jours teribles du 5 au 8 février 1944 à Brénod
Dès la création des Maquis de l’AIN en 1943, plusieurs fermes isolées entourant le village de Brénod accueillent les camps ou se retrouvennt les volontaires, pour la plupart entrés dans la clandestinité pour échapper au S.T.O..
En novembre 1943, la ferme de ”Pray Guy”.
située dans la ”Combe de Ferrirand”, à 2 km au nord du village abrite le CAMP MICHEL dont le rôle principal est la protection rapprochée du PC des Maquis de l’Ain et de la mission interalliée installés à cette époque dans une ferme voisine au lieu-dit ”Le Fort”. La ferme du ”Molard”, à 2 km à l’ouest du village abrite également des Maquisards
Ces camps bénéficient de la complicité active ou passive d’une bonne part de la population locale.
Cette forte implantation de la Résistance dans le Haut-Bugey se concrétise par de nombreux ”coups de main” en de multiples endroits du territoire.
C’est dans ces circonstances brièvement résumées, que l’envahisseur met en œuvre l’opération ”KAPORAL” début Février 1944. Elle s’étend sur un vaste quadrilatère couvrant quasiment toute la région montagneuse à l’Est du département de l’AIN, entre Ambérieu-en-Bugey, Oyonnax, Bellegarde sur Valserine et Belley.
C’est la première opération ”militaro-policière” de ce genre dans la France occupée. Un contingent 2500 hommes de la Wehrmacht, lourdement armés et soutenus par les avions de la Luftwaffe, investit le Haut-Bugey. Ils sont là en soutien de l’action policière de la Gestapo, aux ordres de Klaus Barbie.
A Brénod, dans la journée du 5 février 1944, un violent accrochage se produit au lieu-dit ”Le Monthoux”. Un petit groupe de Résistants du Camp Michel, en mouvement entre ”Pray Guy” et ”le Molard” croise un détachement Allemand à la traversée de la route départementale 31. stèle Les deux groupes font feu instantanément. Alors que leurs camarades réussissent à échapper à leurs agresseurs en se mettant à couvert dans la forêt toute proche, trois jeunes Résistants,
- Roger LUTRIN
- Pierre DESMARES
- Germain CHEVROLET
tombent sous les balles allemandes. Un soldat allemand viendra réquisitionner deux habitants du village pour creuser une fosse ou leurs corps seront déposés, à proximité des maisons du Monthoux.
Toute la journée du 5 février, les maquisards (camp Michel ?) sont harcelés par une force bien supérieure. Les fermes du ”Fort” et du ”Pray Guy” brûlent, ainsi que celle du ”Molard”, mais ils parviennent à décrocher et échappent à leurs agresseurs en disparaissant dans la forêt.
Le lendemain matin, dimanche 6 février le village se réveille cerné par l’infanterie Allemande … Au lever du jour, alors qu’une épaisse couche de neige recouvre la montagne, la population découvre avec stupeur que tous les accès au village sont bouclés. Des sentinelles armées veillent dans les prés alentours.
Voici le témoignage de Georges PETIT-JEAN, habitant de Brénod, Déporté à Mauthausen, arrêté et emmené par les Allemands ce jour-là :
« A peu près simultanément, d’autres soldats descendus de camions arrêtés sur la place, frappent aux portes des maisons et invitent les hommes à se rendre à un contrôle d’identité. De place en place des sentinelles surveillent le bon déroulement des opérations. Certains habitants sont absents de leur domicile, d’autres n’hésitent pas à prendre des risques et à se cacher là où ils le peuvent. Il faut néanmoins reconnaître que les fouilles approfondies des maisons sont peu nombreuses et que, d’une façon générale, les hommes rejoignent sans trop de difficulté le lieu de rassemblement.
Je me retrouve donc un peu plus tard, sur la place parmi ceux qui m’ont précédé. Lorsqu’il juge que la population masculine est toute arrivée, le chef de l’opération fait entrer tout le monde dans la salle des fêtes. Là, chacun présente ses pièces d’identité à des individus en civil (probablement des membres de la Gestapo accompagnés de traîtres).
Après un interrogatoire rapide destiné à confirmer l’identité et des questions visant à obtenir des renseignements sur les membres de la Résistance, leur refuge et leurs actions (questions qui sont d’ailleurs restées sans réponse), deux groupes sont formés et séparés.
Le groupe des personnes les plus âgées (plus de 45 ans) et les plus jeunes (moins de 16 ans) est remis en liberté.
Le reste, dont les pièces d’identité demeurent entre les mains des Allemands, comporte 23 hommes de 18 à 45 ans auxquels le chef de l’opération s’adresse en disant à peu près ceci : »Vous avez voulu la guerre. Vous avez la guerre. Votre village brûle. Nous prenons ce groupe en otage. Il y a beaucoup de travail pour vous en Allemagne ! ».
L’après-midi se passe dans l’attente et dans l’ignorance des événements. Nous discutons pour tromper notre inquiétude. Finalement la nuit est tombée lorsque, rejoints par Mme FAIVRE, nous sortons de la salle des fêtes et nous dirigeons vers un camion stationné devant la fromagerie. Nous grimpons alors dans ce véhicule, équipé de bancs. Les gens se serrent, certains s’assoient par terre et, monté dans les derniers, je me retrouve assis sur le plancher, le dos appuyé contre le hayon arrière. Deux sentinelles sont installées en bout de bancs. D’autres véhicules se placent devant et derrière le nôtre et le convoi se met en route en direction du nord, tandis que les incendies font rage ( la boulangerie Carrier, le garage Tardy et quelques autres flambent).
Nous quittons BRENOD pour une destination et une vie que nous sommes bien loin d’imaginer ! ».
Au soir du 6 février, dans les sinistres lueurs des maisons incendiées, deux femmes et vingt-quatre hommes quittent le village dans ce convoi. Il s’agit de :
- Marguerite CHABOT,
- Emilie FAIVRE,
- Pierre BASTIEN, non rentré,
- Félix BORY, non rentré,
- Bernard CARRIER,
- Jean CARRIER ,
- Marcel CARRIER,
- Alphonse CIROUX,
- Jean DEFFEUILLE,
- Henri FAIVRE,
- Fernand FONTAINE, non rentré,
- Gaston JACQUET, non rentré,
- Alexandre JARRIN, non rentré,
- Eugène JOLY, non rentré,
- Jacques LANCE,
- Roger LETOURMY,
- Victor MARTINAND,
- Daniel MORAND, non rentré,
- Victor MURET, non rentré,
- Georges PETITJEAN,
- Adrien PERRIER,
- Jean Claude POMMIER, non rentré,
- Alfred RAVOT,
- Louis Albert RAVOT,
- Marcien RAVOT,
- Henri RICHEROT-MALIVERT,
Le 8 février les opérations allemandes se poursuivent à Brénod. Ils pénètrent en force à la brigade de Gendarmerie, accompagnés du dénommé Avond, originaire de la Loire et récemment installé dans la région, certainement à l’origine des renseignements particulièrement précis dont disposait la Gestapo. Repéré et surveillé par les gendarmes de la Brigade de Brénod qui l’avaient signalé au Maquis, ceux-ci l’avaient capturé et retenu prisonnier à la Ferme des Combettes à Hotonnes. Libéré par les allemands lors de l’attaque de celle-ci le 8 février, cet informateur zélé est venu régler ses comptes avec les gendarmes jugés trop ”bienveillants” à l’égard du Maquis. Quatre membres de la Brigade sont emmenés :
- Gilbert LIMOSIN,
- Étienne PFIRSCH,
- Roger ROUSSET, non rentré,
- Marius TRAFFEY, non rentré
Ce même jour, les deux frères
- Eugène CARRIER, non rentré,
- Joseph CARRIER,
sont arrêtés à leur domicile, à la Ferme du Cernay.
Ces six hommes viennent grossir les rangs des 26 personnes déjà emmenées l’avant-veille, par la Gestapo.
Le samedi 12 février suivant,
- Cyprien PELISSON, non rentré,
est arrêté à La Cluse. Il est ramené à son domicile à Brénod le même jour, pour être interrogé, ensuite emmené par la Gestapo alors que sa maison est incendiée. Lors de son arrivée à Compiègne courant mars, ses compatriotes rapportent que son corps et son visage portaient encore les traces du terrible interrogatoire qu’il avait subi chez lui.
Le 12 avril 1944, lors de l’opération allemande contre le Haut-Bugey, appelée ”Printemps”,
- Louis HUMBERT, non rentré,
est arrêté à Brénod et emmené par la Gestapo.
Au total TRENTE QUATRE PERSONNES du village de BRÉNOD subiront le terrible sort réservé aux populations civiles, engagées ou non dans la Résistance, lors des opérations de répression nazies dans le HAUT-BUGEY durant le premier semestre 1944.
Toutes ces personnes ont été internées à la prison militaire proche du Fort de Montluc à LYON, après un bref passage dans les caves de l’École de Santé Militaire, avenue Berthelot, ou la GESTAPO a établi ses quartiers. Certains de nos compatriotes y subiront de violents interrogatoires.
Le 12 février 1944, premier transfert au camp de transit de ”Royalieu” à COMPIÈGNE, où sont rassemblés les détenus dans l’attente de la formation des convois à destination de l’Allemagne.
Le 22 mars 1944 un convoi quitte Compiègne en direction MAUTHAUSEN en Autriche.
C’est dans ce convoi que se trouvent la plupart des victimes de la rafle du 6 février 1944 à Brénod.
Jean Claude POMMIER avait déjà quitté le sol français dans un précédent convoi, le 13 mars au départ de Paris-Gare de l’Est à destination du camp de la NEUE BREMM, avant de rejoindre MAUTHAUSEN.
Mmes CHABOT et FAIVRE, furent déportées dans un convoi au départ de Paris-Gare de l’Est le 18 avril 1944 en direction du camp de RAVENSBRÜCK
Cyprien PELISSON sera dans le convoi du 27 avril en direction du camp d’AUSCHWITZ.
Louis HUMBERT dans celui du 12 mai qui le conduira à BUCHENWALD.
Au total ce sont TRENTE QUATRE habitants et habitantes de Brénod qui, en subissant les représailles du régime nazi, ont connu la DÉPORTATION dans l’horreur des camps de concentration.
QUINZE d’entre eux ont fait le sacrifice de leur vie :
- Pierre BASTIEN
- Félix BORY
- Eugène CARRIER
- Fernand FONTAINE
- Louis HUMBERT
- Gaston JACQUET
- Alexandre JARRIN
- Eugène JOLY
- Daniel MORAND
- Victor MURET
- Cyprien PELISSON
- Jean Claude POMMIER
- Roger ROUSSET
- Marius TRAFFEY
Partis en fumée à l’autre bout de l’Europe, leurs noms demeurent à jamais gravés dans la pierre au pied du Monument aux Morts de Brénod.