Les Déportés du 16 avril
Souvenirs écrits par Yvette Vincent-Bouvard, et partagés avec Pierre, petit-fils de Lucie et Marcel Ray, alors voisins de la Vieille Rue de Verjon. – Automne 2005 – Printemps 2006
Ma journée du 16 avril 1944…
C’est dimanche, jour de 1ère Communion pour les enfants. A Verjon, une petite pluie fine tombe ce matin.
Après-midi, … un peu moins mauvais temps, mais hélas ! … Un triste moment nous attend, bien long ! …
Je suis avec Jules Putin, un ancien du village, sur le pas de la porte de la salle du Café tenu par ma sœur.
Soudain, sur la route, devant nous, passe une traction, avec dedans, deux Allemands et deux miliciens, faciles à reconnaître avec chapeau de feutre et imperméable.
A peine remise de cette vision, arrive dans la cour, un Allemand braquant un gros revolver. Apeurés, nous partons nous réfugier à l’intérieur, où il y a quelques clients, jouant au « rondeau », qui eux, n’ont rien vu arriver ! …
Connaissant bien la maison, je traverse la cuisine, la cave, et me trouve dans la petite cour derrière ; … mais elle est déjà pleine d’Allemands, arrivés de la route. Le jeune Albert Quarrit, de Villemotier (16 ans), les voyant, se sauve par les jardins, en sautant les palissades. Il sera rattrapé en haut du village, vers l’Hospice, mais relâché un peu plus tard.
Arrivant sur la route de Coligny, je vois un car arrêté, rempli de jeunes gens qui avaient été pris dans la matinée à Coligny. Certains me disaient « On a faim ». Je retourne à la cuisine qui, entre-temps, était envahie par des Allemands.
Je leur fais comprendre que je voudrais porter à manger à ces jeunes et ils me font signe : « Oui », ce que je fais aussitôt ; du pain et du fromage, ce n’était pas l’abondance, car on était limité par les restrictions. Pendant ce temps, les pauvres gens, qui étaient venus, bien gentiment, passer un petit moment de distraction, sont emmenés contre le mur, sur la place, avec armes braquées sur eux, ainsi que certains habitants, pris chez eux. Ailleurs, dans le village, toutes les maisons étaient visitées et pillées. Les familles, qui avaient un enfant qui communiait, avaient fait un repas un peu plus important avec « les moyens du bord », ont vu ce qui restait, tout détruit, tout abîmé. Mon frère – Joseph Vincent – et Lucien Tournier de Chevignat, étaient partis à Bény, chercher des jeunes pour aller à Roissiat, où il y avait eu noce la veille : peut-être pensaient-ils aller danser ? Ce qui les a sauvés
Hélas, à Roissiat, c’était comme à Verjon…
Un second car est arrivé, venant de Roissiat, où une dizaine de jeunes avaient été raflés. Après avoir fait le tri, parmi les jeunes alignés contre le mur, une dizaine également, ont été conduits dans le car. Lobrichon, qui avait deux ouvriers de la Fromagerie, qui faisaient partie de ces pauvres gens, est arrivé à monter dans le car. Certains avaient glissé, dans sa poche : « trois montres et une chevalière en or ».… qu’il m’a remis en passant, et que je suis allée cacher dans les chambres. Les Allemands qui étaient là, assis à la table et un peu éméchés, m’ont laissé passer ; sans doute n’ont-ils rien vu.
Un des ouvriers, qui était chez lui, couché, a été cueilli dans son lit : sans doute était-il vendu, mais par qui ? …
L’après-midi a été long, mais dans des moments pareils, on n’a plus la notion du temps qui passe.
Les Allemands, les miliciens, faisaient un va et vient sans arrêt. Avant d’embarquer, ils avaient réquisitionné un camion de la fromagerie pour emmener ces pauvres vers les camps de la mort. Les ayant alignés dans la cour du café, un milicien avait pris la précaution de fermer la porte du fenil à clé, et mis la clé dans sa poche ; personne ne pouvait se cacher. J’ai porté à boire à quelques uns. Juste avant de partir, j’allais avec ma bouteille d’eau et, arrivée au coin de la cour, un milicien m’arrête.
J’avais, dans l’autre main, un mouchoir : pourquoi ! … Il me l’a fait déplier, et m’a suivi jusque vers Vincent…
Le départ a été donné, par le lancement de fusée. C’était un peu avant la nuit, Ils ont reposé la clé du fenil en partant.
Mon frère et Lucien, qui avaient été avertis à Moulin-des-Ponts, étaient restés cachés jusqu’à la nuit, ils étaient dans un fossé, quand les cars sont passés près d’eux.
Quand ils sont arrivés, il était bien nuit. Lucien a appris que son frère était parti aussi.
Je pense que cette journée est gravée dans la mémoire de beaucoup de gens de Verjon, Roissiat et Coligny.
Deux ou trois jours après, je suis allée reporter les montres aux gens de Roissiat.
Hélas, les Allemands allaient rendre d’autres visites à Verjon…